#5 Portraits de Strasbourgeois : rencontre avec Albina Ovtcharenko
Au gré de nos rencontres lorsque nous arpentons les rues de Strasbourg, nous rencontrons des personnalités singulières, des artisans talentueux, des personnes aux parcours hors-normes. Partageons ensemble ces portraits de Strasbourgeois(e)s !
Des Trois Mousquetaires au Conseil de l'Europe, voilà qui pourrait résumer la trajectoire incroyable d’une femme originaire de l’Union soviétique, arrivée en France à 20 ans et qui rêvait d’être diplomate, Albina.
Si Albina est aujourd’hui en fonction au Conseil de l’Europe où elle exerce la fonction de conseillère politique en charge de projets de réconciliation dans les zones de conflits gelés, cette vocation de travailler dans la diplomatie et les affaires internationales est née dès l’enfance en prenant conscience des difficultés auxquelles ses proches devaient faire face. « Lorsque j’étais petite et que je vivais dans l'Union soviétique avec ma famille, les conditions étaient dures. Je n’avais pas de jouet, nous vivions dans un petit appartement. C'était la pénurie générale pendant la perestroïka. A tel point que ma grand-mère m’achetait des briques de savon pour jouer. »
Le déclic s’est fait à la lecture du livre « Le diplomate » de James Aldridge. « J’ai lu ce livre lorsque j’avais douze ans. Etre un jour une diplomate et travailler dans des institutions internationales comme l’ONU est alors devenu une évidence pour la petite fille que j’étais. » Sauf que sa famille n’a pas immédiatement compris cette vocation, notamment sa mère qui était cantatrice d’opéra en Moldavie, en Ukraine et en Russie. Mais Albina était déjà une personne déterminée et elle poursuivra dans cette voie.
Avec la chute de l’Union soviétique, Albina accède à des programmes étudiants et réussit des concours qui lui permettront notamment de rejoindre les Etats-Unis en 1994 pour passer son bac. Passer de sa petite ville natale de 2 000 habitants à New-York fut d'ailleurs une expérience incroyable. « Cela m’a donné une ouverture d'esprit et sur le monde. J’ai alors compris d’autres modes de compréhension et de nouveaux codes que ceux que je connaissais depuis toute petite. J’avais encore plus envie de devenir diplomate ! »
Mais cette escapade aux Etats-Unis n’a pas été de tout repos, car Albina s’est retrouvée sans passeport et sans identité. Apatride. « Après la chute de l'URSS, la citoyenneté a été donnée aux gens de façon différenciée suivant les Etats : certaines nationalités étaient données aux natifs, d’autres à ceux qui vivaient à tel ou tel endroit, d’autres aux personnes qui avaient telles ou telles origines. Le problème était que chaque membre de ma famille a bénéficié à l’époque d’un passeport différent, car nous étions éclatés dans plusieurs régions de l’Union soviétique. Du coup, au moment de partir aux Etats-Unis, j’avais un passeport dérogatoire de l'Union soviétique avec un tampon "Apatride - résidant en Biélorussie". La douane américaine m'a alors bloquée pendant plusieurs semaines… Et ce problème de passeport se reproduisait à chacun de mes voyages, même en Europe et même des années après ! »
Cet incroyable imbroglio de passeport, que nous aurions bien du mal à nous représenter dans le monde ouvert d’aujourd’hui, est à l’origine d’une prise de conscience pour l'adolescente qu'était alors Albina. « Être apatride, c’est manquer de tout : on n’a aucune identité, on ne connaît pas ses racines, on a la sensation d’être anormal. Finalement, on est de partout et de nulle part. » Aujourd’hui en charge de projets pour les résidents des zones de conflits gelés, Albina ne manque pas de nous expliquer que l’apatridie concerne toujours des millions de personnes dans le monde et qu’elle créé de nombreuses souffrances aux personnes concernées qui, souvent, ne peuvent pas aller à l’école, occuper un emploi, se marier, acheter une maison ou circuler librement.
De retour en Biélorussie après cette expérience américaine, à 17 ans, Albina entame des études supérieures de droit international, avec la ferme intention de travailler sur ces problématiques d’apatridie. Elle étudiera également le Français. « Par amour pour Les Trois Mousquetaires, ce livre fantastique de la littérature française que j’ai découvert quand j’étais petite chez mes grands-parents, en Biélorussie. »
Après avoir découvert de nombreuses villes européennes pendant ses années étudiantes, de Bordeaux à Amsterdam, en passant par Grenoble et Bruxelles, Albina découvrira Strasbourg à 20 ans. « Je suis arrivée pour la première fois à Strasbourg avec le train de nuit. Il était 6 heures du matin, il n’y avait personne dans les rues de Strasbourg. C’est à ce moment-là que j’ai découvert la place de la Cathédrale ! » Enchaînant tour à tour la faculté de droit en Biélorussie, Science Po à Grenoble, un stage à Paris et finalement un stage au Conseil de l’Europe à Strasbourg, Albina posera finalement ses valises dans notre région alsacienne, à Strasbourg.
Et l’immobilier dans tout ça ? « Vivre dans une maison, c’était mon autre rêve quand j’étais petite. Je rêvais de vivre un jour dans une grande maison. » Rêve exaucé désormais puisque Albina, Olivier et leurs deux enfants vivent dans une superbe maison à Schiltigheim.